Par Xavier Perrin (xperrin@xp-consulting.fr)
Dans un récent numéro de la newsletter de Supply Chain Magazine (#2600 ; 20/11/2017), j'ai trouvé un article intéressant pour illustrer la notion de muri. Muda est un concept bien connu du lean, qu'on traduit par "activité sans valeur ajoutée". Les praticiens du lean (Lean Thinkers) apprennent aussi à identifier les mura et les muri. Mura signifie "irrégularité des opérations", et muri signifie "surcharge des équipements ou des opérateurs en exigeant d'eux de fonctionner à une cadence trop élevée ou trop difficile sur une période plus importante que ce que permet la conception de l'équipement ou la gestion appropriée des ressources humaines" *... Ce dernier principe peut être difficile à évaluer. L'exemple qui suit, issu de la newsletter, peut aider à mieux le cerner. On y lit, dans un article intitulé "Quand les flux se détendent…" d'un colloque organisé par la Carsat Rhône-Alpes (Caisse d'Assurance Retraite et Santé Au Travail) et l'association Pil'es (Pôle d'Intelligence Logistique), que "plusieurs grands distributeurs, mais aussi des logisticiens et des transporteurs, se sont dit favorables à des délais plus longs et des commandes moins fréquentes, notamment pour les produits dont la DLV ne justifie pas des livraisons urgentes. Des évolutions qui ne dégradent ni le chiffre d'affaires des acteurs, ni la qualité de service, mais doivent s'accompagner de mesures concrètes : concertation, anticipation, dialogue et échange d'expérience ont notamment été évoqués tout au long de cette journée." Un industriel ajoute : "Non seulement cela nous apporte des marges de manœuvre pour mieux travailler, mais aussi pour mieux servir le client sans stresser toute la chaîne."
Quand plusieurs acteurs de la supply chain investissent de leur temps précieux pour participer à un colloque sur ce sujet, cela signifie que réduire systématiquement les délais de livraison ne génère pas systématiquement de la valeur ajoutée. Par contre, cela peut stresser les ressources et augmenter les conséquences négatives telles que des mauvaises conditions de travail, des erreurs, une augmentation de la variabilité interne (mura)… des situations qui génèrent finalement des activité sans valeur ajoutée (muda).
Les muri étaient une préoccupation constante de Taiichi Ohno, le principal artisan du lean. Alors qu'il poussait un directeur d'usine à supprimer un convoyeur entre deux ateliers, parce que cet équipement générait des stocks inutiles, il était très inquiet de l'impact que pourrait avoir la solution sur les conditions de travail des opérateurs. Quand il est revenu sur le site quelques mois plus tard, avant même de s'intéresser à la solution que le directeur du site s'apprêtait à lui présenter, sa première question fut de savoir comment les opérateurs avaient perçu cette solution. Il insistait sur le fait que toute solution qui détériore les conditions de travail est une mauvaise solution **.
C'est sans doute parce que beaucoup de managers ignorent ce principe clé du lean que le lean a acquis une si mauvaise réputation dans certaines entreprises…
Excellente synthèse Xavier d'un concept lié aux fondements de la démarche Lean : elle s'appuie sur et pour les opérateurs au service de l'efficacité globale.
Certains managers veulent mettre en place une démarche Lean avec comme seule finalité de gagner en productivité. Pour eux, cela signifie licencier les opérateurs à qui on a demandé de participer au projet !
Si le Lean va effectivement augmenter la marge de la société, c'est en augmentant sa performance en optimisant la chaine de valeur. La société va pouvoir proposer d'autres services différenciant à ses clients. Tout cela se construit avec les opérateurs en leur permettant de réaliser leur travail dans de bonnes conditions. Je n'ai jamais vu un professionnel ne pas bien faire son travail si on lui en laisse le temps !
C'est intéressant d'ailleurs cette relation entre Muri et Mura:
- exemple 1: ce type qui "presse" la voiture de devant parce qu'il est ...pressé, pour qu'elle avance plus vite (vous le connaissez ?) voire la vidéo pour suivre çà avec du recul: https://www.youtube.com/watch?v=7wm-pZp_mi0
- exemple 2: dans une entreprise de S/T de peinture de pièces méca, dont le chef d'atelier (un vrai, un barbu, un qui met la pression parce que sinon vous comprenez, les gars se la coulent douce) a été "démis"; les opérateurs se sont alors retrouvés devant la responsabilité d'assurer la production. Le CA/pers a été multiplié par 1.3!
Qui a d'autres exemples ?
Effectivement, se faire livrer des livres en 24 ou 48 heures alors que j'en ai une pile en attente de lecture sur la table n'obéit pas à une nécessité, mais à de l'achat instantané.
Mais cela génère du chiffre d'affaires ; la pression sur l'exécution logistique ne vient pas d'une demande de délai court du client, sauf pour certaines occasions, mais de déclencher plus de commandes.